Pour la 9ème fois, Frédéric Encel, géopolitologue, a réuni, à PSB Paris School of Business, les Assises nationales de la lutte contre le négationnisme, organisées en partenariat avec la LICRA.
Le thème de cette édition était « Témoignez ? Témoignez ! » en une journée particulière, celle du 27 janvier, journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité.
Mario Stasi, présent lors de cette journée, a ouvert les travaux en rappelant que la révolution numérique a été le catalyseur d’un négationnisme qui a très tôt compris le profit qu’il pouvait en tirer : « Si vous regardez quels sont les points de convergence entre les antisémites, qu’ils soient d’extrême-droite, qu’ils viennent de l’extrême-gauche indigéniste ou de l’islam politique, celui qui les rassemble tous dans un même élan, c’est le négationnisme. Tous convergent dans la même direction, avec les mêmes mots, avec les mêmes obsessions pour dénier aux Juifs le crime dont ils furent victimes. Tous éructent contre les Juifs pour ouvrir une concurrence des mémoires où il faudrait mettre en débat et la Shoah et les crimes de la traite et de l’esclavage, ceux du colonialisme contemporain, à l’image de la défense dite « de rupture » de Klaus Barbie par Jacques Vergès. Tous diffusent cette idée que la Shoah serait le mensonge fondateur servant à justifier l’existence d’Israël, à défendre le sionisme, à réclamer des réparations financières éternelles, à prétendre à un immuable statut de victime. Tous utilisent les mêmes livres pour étayer les théories du complot et leur obsession des Juifs, des Protocoles des Sages de Sion à Mein Kampf. Tous réveillent les mêmes complots pour justifier leur vision du monde, raciste et antisémite dans tous les cas. »
La question de la transmission, au coeur des travaux
Une transmission de la mémoire des crimes contre l’Humanité qui se heurte parfois aux Etats, comme l’a rappelé Julien Zarifian, universitaire, expliquant les raisons pour lesquelles les Etats-Unis, avec Israël et le Royaume-Uni, refusent de reconnaître le génocide du peuple arménien de 1915 par l’Empire ottoman.
La parole des témoins. Une transmission qui se heurte, évidemment, à la disparition des témoins dont la collecte de la parole et du témoignage a engagé de nombreux documentaristes, comme Michael Prazan, dans une course contre la montre devant une matière fragile et malheureusement périssable : la parole de ceux qui ont vécu le crime contre l’Humanité. Patrick de Saint-Exupéry, journaliste présent au Rwanda en 1994, a quant à lui évoqué le très grand déséquilibre de la parole. Après le crime, les victimes sont mortes, les survivants sont peu nombreux, dévastés et leur parole n’est pas prise au sérieux, elle est cabossée, meurtrie, sidérée et malhabile. Le monopole de la parole, d’une parole abondante, y compris devant les tribunaux, est celle des bourreaux, offrant au négationnisme une surreprésentation et une surexposition qui contraste avec l’océan de silence et d’oubli dans lequel baigne la parole des victimes. A quoi s’ajoute, comme l’a rappelé Fanny Bourillon, à la fragilité du témoignage, au fait qu’il n’est jamais neutre, qu’il offre une vision nécessairement fragmentaire et partiale des faits dot l’établissement appartient aux historiens. C’est aussi de cette fragilité que les négationnistes ont profité pour instrumentaliser la parole des témoins et remettre en cause elles génocides.
La raison d’Etat. Une transmission qui se heurte aussi à la raison d’Etat et aux contingences de la géopolitique qui entretiennent le climat négationniste autour des crimes contre l’humanité commis au Rwanda. Guillaume Ancel, ancien militaire, témoin direct et acteur des opérations militaires françaises au Rwanda en 1994 a témoigné du mur de silence qui lui a été opposé lorsqu’il a voulu dire ce que la France a fait au Rwanda entre avril et juillet 1994, exhortant les autorités françaises à ouvrir les archives de l’Elysée, du Quai d’Orsay et du Ministère de la Défense toujours classifiées.
L’éducation. Une transmission qui se heurte encore et toujours à la question de l’éducation et de la jeunesse. Anastasio Karababas, enseignant et guide au Mémorial de la Shoah a rappelé l’exigence de transmission de la mémoire des génocides auprès de la jeunesse, Un récent sondage a montré que 34% des Européens n’avaient jamais entendu parlé de la Shoah, ce chiffre atteignant 51% parmi la jeunesse polonaise. En France, 21% des 18-30 ans ont une vague idée de cette question. Face à ce phénomène, le travail de Sysiphe des enseignants ne fait que commencer pour expliquer, encore et toujours, avec Delphine Horvilleur, que « l’antisémitisme est toujours le premier symptôme d’un effondrement à venir », que la mécanique identitaire commence toujours par des mots et se termine toujours et invariablement dans un bain de sang et de larmes. Une éducation à la mémoire qui n’est pas sans contradiction, comme la rappelé Dominique Chevalier, géographe, montrant le paradoxe entre l’explosion des théories négationnistes sur les réseaux sociaux et les records chaque année battus du nombre de visiteurs à Auschwitz, le tourisme mémoriel n’ayant jamais été aussi prisé.
Complotisme et banalisation. Une transmission qui bute sur le poison de la banalisation complotiste et relativiste. Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, est revenu sur les signaux faibles qui permettent l’éclosion et la diffusion du négationnisme. A la faveur du mouvement des gilets jaunes, on a pu voir à Tours un panneau « Nos rues ne sont pas des chambres à gaz» ou à Cognac, une cérémonie du souvenir a été troublé par un gilet jaune criant « Et alors, nous aussi on a été gazés », montrant ainsi que le relativisme écrase tout, qu’il réduit un génocide de 6 millions de morts au même niveau qu’à des grenades lacrymogènes lancées par des compagnies républicaines de sécurité contre des manifestants. C’est sans doute là que poussent les premières dérives négationnistes, car écraser à ce point la réalité du crime, c’est finalement le nier. C’est la première marche d’une mécanique infâme actionnée par tous les complotantes négationnistes qui écument leur haine chaque jour sur les réseaux sociaux.
Marek Halter, grand témoin. Avec la force qui est la sienne, Marek Halter, écrivain, est venu conclure cette journée par un témoignage unique, celui d’un gosse ayant survécu à la Shoah et dont le témoignage ouvre son documentaire « Les Justes » sorti en 1994. Les négationnistes appuient leurs théories sur cette idée que la Shoah serait une invention du peuple juif pour réclamer des réparations et, au premier chef, la création de l’Etat d’Israël. Marek Halter a démonté cette argumentation en expliquant les raisons historiques pour lesquelles la création d’Israël était inéluctable et que cette question était bien antérieure à la Shoah. L’écrivain a terminé son propos par une exhortation, en invitant les jeunes à se saisir des outils numériques, à être les témoins des témoins sur les réseaux sociaux pour ne pas laisser aux racistes et aux antisémites le monopole de la parole.